Regards : Nîmes est-elle une ville festive ?

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Publié le 01 juin 2025 Article

Par Mathieu Lagouanère


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La Feria de Pentecôte s'ouvre avec un jour d'avance cette année, dès le mercredi 4 juin.

Au-delà des Ferias de Pentecôte (du mercredi 4 au lundi 9 juin 2025, cette année) et des Vendanges, qui attirent chaque année deux millions de visiteurs, le goût de la fête semble ancré dans l’ADN des Nîmois.

Les Nîmois aiment et savent faire la fête, ça n’est pas vraiment un secret. Le premier d’entre eux ne dit pas le contraire, d’ailleurs. "La fête, comme la gastronomie ou la tauromachie, fait partie de notre art de vivre, qui est d’ailleurs un moteur de notre attractivité", souligne le Maire Jean-Paul Fournier.

Mais Nîmes est-elle une ville particulièrement festive ? Le calendrier semble le dire, avec ses innombrables événements (les arènes, à elles seules, accueillent plus d’une quarantaine de spectacles par an). Au premier rang desquels, bien sûr, les Ferias de Pentecôte et des Vendanges qui cumulent une dizaine de jours de bamboche grand format et font converger deux millions de festaïres vers le centre-ville.

Nîmes, jours de fête

Une foultitude de rendez-vous festifs rythme l’année nîmoise.

  • Printemps : Journées romaines, Primafresca, pique-nique géant des Halles, fête foraine, Fest’Hoche, banquet des aînés…
  • Pentecôte et 3e week-end de septembre : Ferias.
  • Été : Fête de la musique, Jeudis de Nîmes toutes les semaines, une vingtaine de concerts dans les arènes lors du Festival, spectacles historiques et taurins, Beau week-end à Paloma, Marche des fiertés…
  • Automne : week-end taurin, fête foraine, Expo de ouf !…
  • Hiver : Festival flamenco, Fête de la truffe, braderie, fêtes de fin d’année en décembre avec un grand spectacle chaque week-end

Concerts du Festival, Jeudis de Nîmes, Journées romaines… "En multipliant les événements, festifs mais aussi sportifs et culturels, la Ville entretient ce goût de faire la fête, de se retrouver", se réjouit le cafetier et patron de discothèque Nicolas Delprat.

Son confrère Jean-Claude Coulet, à la tête de plusieurs établissements dans le centre, abonde : "La fête se porte bien, il n’y a qu’à voir la Primafresca (qui a célébré cette année ses 20 ans d’existence, NDLR) : c’est devenu une folie !" La désormais rituelle première bringue de l’année, avec son concours de lancer d’espadrille et ses soirées débridées, a même allégrement débordé de la seule rue Fresque (170 m de long, 16 bars et restaurants, soit quasiment un tous les 10 mètres !) aux rues voisines.

"Nos jeunes ne partent plus de Nîmes pour s’amuser"

Face aux arènes, Michel Hermet a succédé avec réussite à Régine, symbole des années 80 et de la période show-biz, à la tête du Cheval-Blanc. La fête, c’était mieux avant ? "C’était différent, réfléchit le sommelier, qui regrette parfois quelques attitudes excessives chez les jeunes fêtards. Mais en fait, je trouve qu’il se passe beaucoup plus de choses aujourd’hui, Nîmes s’est réveillée, on sent une volonté de faire vivre la ville."

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La fête, la fête, la fête.

Plus besoin de parcourir des dizaines de kilomètres, avec les risques que cela induit, pour s’amuser : l’offre locale s’est étoffée, dans des établissements de nuit qui se sont diversifiés et multipliés.

"Quand j’ai repris le Victor-Hugo en 2001, j’organisais moins d’une soirée étudiante par mois, se souvient Nicolas Delprat. Aujourd’hui, c’est plutôt deux par semaine, et d’autres bars en font aussi… En même temps que l’université a grandi, la proposition s’est étoffée et qualitativement, elle n’a rien à envier à certaines grandes villes. Aujourd’hui, par exemple, nos jeunes ne partent plus pour s’amuser."

Le goût de la fête reste bien ancré : “Les Ferias, les toros, la fête, c’est dans les gênes des Nîmois, ça paraît tellement évident”, lance Michel Hermet. Et il se transmet.

"Comme les Gardois en général à travers les fêtes votives dans les villages, les Nîmois, avec la Feria, grandissent avec une culture festive inculquée dès le plus jeune âge, constate Nicolas Delprat. Pour les enfants de Nîmes, la première sortie, c’est souvent la Pégoulade."

« Le besoin de se rassembler »

INTERVIEW. Philippe Steiner est professeur émérite de sociologie à la Sorbonne. Il a publié Faire la fête, sociologie de la joie aux éditions Puf.

Vivre Nîmes : Comment définir la fête ?
Philippe Steiner : Du point de vue de la vie quotidienne, c’est un moment durant lequel on fait des choses que l’on ne fait pas habituellement : sortir ou recevoir des gens, se retrouver ensemble, et avoir des repas plus élaborés, boire plus, faire un peu plus les fous… C’est assez simple en fait.

En tant que sociologue, j’ai mené mes recherches selon une autre définition. La fête, telle qu’on la vit à la feria de Nîmes, aux fêtes de Bayonne, dans les carnavals brésiliens ou à la braderie de Lille est le résultat d’une organisation solide, pensée et préparée longtemps à l’avance. Il faut une puissance invitante (la mairie ou l’État par exemple), une puissance invitée (la foule, en l’occurrence), un lieu et une date.

En quoi est-elle importante dans notre vie sociale ?
On ne connaît pas de société humaine, que ce soient des petits groupes jusqu’aux grandes nations, qui n’organise pas de rassemblements. Il y a des moments où les sociétés humaines ressentent le besoin de marquer symboliquement et pratiquement leur unité, de se rassembler, se regrouper.

La fête constitue donc un temps fort collectif, mais est-elle pas aussi opportune à titre individuel ?
Oui, c’est vrai, c’est un moment lors duquel on peut changer de facette, en quelque sorte, sans être stigmatisé pour cela. Faire un peu le fou, ça peut même être bien vu : on est quelqu’un qui sait vivre, qui sait sortir de lui-même. La fête permet, voire oblige d’une certaine façon, à ce lâcher prise. Et le fait qu’il y ait une ritualisation de celle-ci avec une date fixe chaque année (la Pentecôte, à Nîmes) rajoute au plaisir de la fête puisqu’on va l’attendre, la préparer, retrouver des amis ou de la famille…

Avec ses deux ferias et ses nombreux événements, Nîmes est-elle une ville festive, davantage que d’autres ?
C’est une idée acceptable, mais il faut être généreux : Nîmes est peut-être une ville festive mais il y en a beaucoup dans ce cas… Il est vrai qu’à partir du moment où une ville s’est installée et a obtenu une renommée en la matière, cela crée une attraction et renforce un certain esprit festif : un plaisir et des moments de joie qu’on aime cultiver.

Justement, la dimension de joie est beaucoup évoquée dans vos travaux. Finalement, est-ce cela l’essence de la fête ?
C’est en effet la manière dont j’ai organisé ma réflexion, pour des raisons sociologiques mais aussi par l’observation. Je l’ai constaté pendant mes quatre années d’enquête sur les fêtes de Bayonne : les gens sont joyeux, ça se remarque. La fête provoque une grande liberté d’interactions, on va s’interpeller, discuter avec des personnes qu’on ne connaît pas, se sentir dégagé des contraintes de la vie quotidienne et des carapaces qu’on est plus ou moins obligés de se construire.

Dans la rue, on est regroupés les uns contre les autres, d’une manière complètement inhabituelle par rapport à la vie quotidienne… Ce bain de foule, au milieu de gens heureux, peut être joyeux et réconfortant.