Patrimoine à Nîmes : qui était Bernard Lazare, dont la statue revient aux Jardins ?
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Patrimoine
Portrait du journaliste et essayiste nîmois Bernard Lazare (1865-1903).
La statue de Bernard Lazare, détruite en 1942, renaît aux Jardins de la Fontaine. Ce dimanche 14 décembre avec le Collectif Histoire et Mémoire, la Ville de Nîmes inaugure un monument en hommage à l’un de ses fils les plus engagés : journaliste, essayiste, figure majeure de l’affaire Dreyfus. Portrait.
Plus de quatre-vingts ans après sa disparition, le monument dédié à Bernard Lazare va de nouveau se dresser à l’entrée des Jardins de la Fontaine, côté Bosquet. L’œuvre, reconstruite à l’identique par l’Atelier Bouvier et à l’initiative du Collectif Histoire et Mémoire, sera dévoilée ce dimanche 14 décembre à midi en présence d’élus et des Nîmois.
Au-delà de l’événement patrimonial, cette réinstallation met en lumière une figure souvent méconnue mais essentielle de l’histoire française. Né à Nîmes en 1865, d'origine juive, Lazare était en effet un intellectuel, précurseur dans la lutte contre l’antisémitisme et tout premier défenseur du capitaine Alfred Dreyfus.
Un Nîmois libre et intransigeant
Lazare Marcus Manassé Bernard, dit Bernard Lazare, naît dans une famille juive nîmoise. Il quitte sa ville natale pour Paris à 20 ans. Très tôt attiré par la littérature et le journalisme, il fréquente les cercles littéraires Symbolistes (dont les pionniers sont Stéphane Mallarmé, Paul Valéry, Jean Moréas) puis les milieux anarchistes. Cette trajectoire nourrit une pensée exigeante, marquée par la liberté de ton et l’indépendance intellectuelle.
En 1894, il publie L’Antisémitisme, son histoire et ses causes, l’un des premiers essais modernes analysant ce phénomène. Cet ouvrage, reconnu par les historiens, témoigne de sa volonté de comprendre et de dénoncer les mécanismes de la haine antijuive, à une époque où l’Europe est traversée par des violences antisémites.
Le premier Dreyfusard
Son engagement explose au grand jour lorsqu’il s’intéresse au cas du capitaine Dreyfus, condamné pour trahison en 1894. Dès 1896, deux ans avant le J’accuse de Zola, Lazare publie une brochure fondatrice : Une erreur judiciaire : la vérité sur l’affaire Dreyfus.
Il y démontre l’innocence du capitaine, révèle les manipulations du dossier et dénonce avec une rare audace le rôle de l’antisémitisme dans sa condamnation.
Son texte circule en France et à l’étranger, et marque le véritable départ du combat dreyfusard. Léon Blum dira de lui : « Il est le premier des Dreyfusards, celui dont sont issus presque tous les autres. »
Mais ce combat lui vaut aussi isolement, campagnes de dénigrement et menaces. Fatigué, fragilisé, il meurt prématurément en 1903, à seulement 38 ans. À sa disparition, ses amis saluent « une conscience », « un homme qui n’a jamais marchandé la vérité ».
La statue : histoire d’un oubli
Pascal Larsonneur, sculpteur de pierre à l’Atelier Bouvier. Sculpteur en chef sur la reconstruction de Notre-Dame, il a contribué à la restauration des sculptures et des pignons de la cathédrale. Pour ce travail, il a été décoré de la médaille de l’ordre national du mérite. Il a travaillé sur le projet de la statue de Bernard Lazare
Pour honorer ce Nîmois devenu symbole universel, la Ville érige en 1908 un monument comprenant son buste et une allégorie de la Vérité. Mais l’œuvre subit rapidement des attaques : profanations dans l’entre-deux-guerres, dégradations répétées. En 1942, sous le régime de Vichy, la statue est retirée, fondue et détruite.
Pendant plus de huit décennies, il n’en reste que des photographies d’archives. Son absence devient peu à peu le reflet de l’oubli dans lequel était tombée la figure de Lazare.
La reconstruction lancée par le Collectif Histoire et Mémoire permet aujourd’hui de réparer cette injustice mémorielle. « Ce monument n’est pas seulement un hommage, explique son président David Storper. Il incarne la lutte contre toutes les discriminations, la défense de la vérité et l’attachement à une presse libre. »
La reconstruction
Au cœur de cette reconstruction, l’Atelier Bouvier, installé aux Angles et reconnu pour son savoir-faire en taille de pierre monumentale, a été chargé de redonner vie à la statue de Bernard Lazare.
Pour parvenir à une reproduction fidèle, les artisans ont travaillé à partir d’un vaste ensemble d’archives : cartes postales, photographies anciennes et plans provenant des fonds municipaux et de collections privées. Ces documents ont permis de reconstituer précisément les lignes et les volumes de l’œuvre inaugurée en 1908.
Avant d’aborder la pierre, une première maquette en terre a été façonnée, puis reproduite en plâtre. Ce modèle, indispensable pour retrouver l’exacte silhouette du monument disparu, a servi de référence à la taille finale.
La pierre de Lens a été choisie, comme à l’origine, pour son grain et sa tonalité, permettant de restituer au mieux l’apparence du monument initial.
Avec ses cinq mètres de hauteur et ses vingt-deux tonnes, la nouvelle statue constitue une réalisation de grande ampleur.
Porté par le Collectif Histoire et Mémoire, le projet a été soutenu par une vaste souscription publique et par plusieurs institutions dont la Ville de Nîmes.